Après avoir dédié ce prix au regretté Jacques de Guenin, voici le discours de présentation que nous avons prononcé devant le jury du prix libéral, à l'issue de l'assemblée générale de l'ALEPS, le 16 décembre 2015 :
Avant de tenter de vous résumer brièvement ce premier livre du Capital, je tiens à faire deux remarques liminaires :
Tout d’abord sur un sujet aussi controversé que le capital, qui
n’a jamais donné lieu à un consensus scientifique inattaquable, je ne prétends
pas faire œuvre d’économiste mais seulement d’honnête homme, au sens que le
chevalier de Méré donnait à ce terme à savoir un homme qui n’a point pour
métier de penser mais qui est curieux de l’essentiel, de ce qui, à proprement
parler, est capital. Le seul titre que je brigue – et ce n’est pas à moi de
dire si je le mérite, est celui d’historien, d’historien des idées, discipline
presque introuvable en France et qui fait de vous un polymathe et un
polygraphe, espèce honnie de tous les spécialistes qui peuplent nos universités
d’État, université d’État en France étant un pléonasme, ce qui empêche le
capital immatériel de notre chère patrie de se former et de se développer.
La seconde remarque est que, puisqu’on trouve des économistes au
sein du jury du prix du livre libéral, ils ne doivent pas non plus être des
économistes de métier si l’on en juge par la recension du Capital que donne la revue des économistes de métier, Alternatives économiques, dans son
numéro de mars 2015, qui me qualifie, comme de bien entendu,
« d’ultralibéral (de tendance autrichienne) ».
Pour mieux épouvanter le lecteur, l’auteur de l’article, Denis
Clerc en personne, le fondateur d’Alternatives
économiques, cite la maxime suivante tirée de mon livre : « la
redistribution n’est que l’euphémisme du vol ». Si l’on ne redistribue
plus effectivement à quoi diable M. Clerc, économiste de profession, va-t-il
bien pouvoir être employé ? « ce qui, poursuit l’auteur de l’article,
nous donne un curieux livre, abondamment nourri de citations d’auteurs libéraux
du XIXe siècle, dans lequel il est affirmé que tout homme est pourvu
d’un capital (ses outils et ses connaissances) légué par le passé car soustrait
« à la consommation improductive et à la production stérile ».
Conclusion de ce premier tome : le capitalisme est un mythe forgé par les
adversaires du capital, comme seule l’école française l’avait compris. Je pense
que les lecteurs pourront s’économiser l’achat des trois autres volumes à venir. »
La chute est excellente non seulement parce que c’était un des
mes objectifs que d’avoir la gloire d’être éreinté par Alternatives économiques, sans oser espérer que je périrais par le
glaive de Denis Clerc en personne, mais aussi parce que c’est bien la première
fois que ce monsieur, gourou des « profs d’éco » qui sévissent dans
nos salles de classe, propose de faire des économies.
Je vais donc tâcher, dans les quelques minutes qui me restent de
compléter le propos de M. Clerc, en commençant par éclairer le titre de ce
premier live, L’invention du
capitalisme. Il s’agit d’un latinisme. J’emploie invention dans le sens du mot latin inventio à la manière d’Adam Smith qui, comme vous le savez, professait
les Belles Lettres, et non pas l’économie, à l’Université d’Edimburgh. Selon Cicéron,
dans son traité d’art oratoire qu’il intitule justement De Inventione, l’inventio est la première partie de la rhétorique. Elle consiste à rechercher les
mots et les arguments qui vont constituer le discours. Par conséquent, vous
l’avez compris, L'Invention du capitalisme, premier livre du Capital, n’a rien
d’un travail classique d’allure webérienne sur le prétendu système auquel les
collectivistes ont attribué le nom de capitalisme,
qui serait apparu subitement au moment de ce que l’on appelle, depuis Engels,
la Révolution industrielle. Rompant avec les présentations traditionnelles du
sujet, ce livre est le fruit de recherches sur les moyens rhétoriques, qui ont
été mis en œuvre pour accréditer l’existence de ce monstre capitalisme, de ce vampire qui suce le sang du prolétariat par le
surtravail, cause de tous nos malheurs, jusqu’au réchauffement climatique
puisque que, comme le GIEC de l’ONU nous somme de le croire à coup de
« crosses de hockey », le réchauffement de notre planète bien-aimée
date de l’industrialisation capitaliste de l’Occident.
La
thèse cardinale de ce volume et du suivant également, car il faut bien deux volumes
pour l’étayer, est tout simplement que le capitalisme
n’existe pas. C’est une fiction sortie tout armée de la rhétorique socialiste
qui a été inventée pour attribuer au libéralisme les maux causés par le
socialisme.
Ce
qui existe, c’est le système anticapitaliste, dont les rentes nourrissent M.
Denis Clerc et ses collègues.
Le
premier livre est divisé en trois parties anthropologie du capital, sociologie
du capital et poétique du capitalisme.
I - Anthropologie du capital
Au
chapitre anthropologie du capital, je rappelle cette vérité élémentaire,
oubliée depuis Marx, que l’homme n’est pas concevable sans capital ne serait-ce
que parce que tout homme libre est propriétaire d’un capital premier, son
propre corps, ainsi naturellement que les facultés et la force de travail qui y
sont attachées, acquises par la nature mais aussi et surtout par l’éducation. Singulièrement,
Marx refuse à cette Arbeiskraft, à
cette force de travail la qualité de capital et c’est bien là que réside la
source de toutes les erreurs du travaillisme qui inspirent jusqu’à aujourd’hui
les politiques économiques.
Alors
qu’il est admis, sans examen, par la plupart des universitaires, qu’ils
s’affichent comme marxistes ou non, que seule une poignée de bourgeois détient
le capital au détriment de la plus grande masse qui en serait dépourvue, j’ai
tenté non pas tant de démontrer mais simplement de rappeler, car je fais appel
au bon sens, que le capital n’est pas un accident de l’histoire surgi à la
faveur de l’instauration brutale d’un système baptisé capitalisme mais le fondement même de cette anthropologie élaborée
par l’école française d’économie au XVIIIe et XIXe siècle et résumée par cette
formule lumineuse d’Yves Guyot : « Le capital, c’est l’homme ».
II - Sociologie du capital
Abordons
maintenant le deuxième partie du livre, intitulée « sociologie du
capital ». Héritière de cette anthropologie, la sociologie du capital n’a
pas été élaborée par les socialistes mais par l’école française. Marx, lui même,
confessera que « des historiens bourgeois avaient exposé » bien avant
lui « l’évolution historique de cette lutte des classes et des économistes
bourgeois en avaient décrit l’anatomie économique ». J’identifie les
auteurs auxquels fait allusion Marx et brosse un panorama de leur approche du
capital : Quesnay, concepteur de la notion de classe ; Condorcet, le
premier des républicains ; Destutt de Tracy, père de l’idéologie ;
Augustin Thierry, historien de la spoliation ; Charles Dunoyer, auteur du
texte fondateur de la lutte des classes et Adolphe Blanqui, premier historien
de la pensée économique, autant d’esprits qui observent que le capital est
universel et que, tandis que les excès de l’individualisme sont régulables par
la loi et que rien ne régule les abus du collectivisme, le véritable
antagonisme de classe n’oppose pas ceux qui accapareraient le capital à ceux
qui en seraient privés mais ceux qui le créent à ceux qui vivent de sa
destruction. C’est ainsi que Charles Dunoyer résume le véritable antagonisme de
classes, qui selon l’école française n’oppose pas la bourgeoisie au prolétariat
mais les spoliateurs aux spoliés, dans son texte fondateur publié dès 1818 dans
Le Censeur européen « De la
multiplication des pauvres, des gens à places et des gens à pensions » C’est
chez Dunoyer qu’apparaît l’idée, avant Marx, que la sphère sociale se divise en
deux ensembles antagonistes. Mais, au lieu d’opposer frontalement les classes,
la ligne de clivage passe au sein même des classes sociales, qui sont des catégories
trop vagues pour rendre compte des intérêts en conflit : « Il n’existe
dans le monde, souligne Dunoyer, que deux grands partis, celui des hommes qui
veulent vivre du produit de leur travail ou de leurs propriétés, et celui des hommes
qui veulent vivre sur le travail ou sur les propriétés d’autrui.».
J’entreprends
ensuite de restituer dans leur sens premier, les concepts libéraux qui ont été détournés par Marx : à savoir la lutte
des classes, l’idéologie, le prolétaire. Ensuite j’actualise les définitions du
capital proposées de Jean-Baptiste Say, Charles Coquelin et Yves Guyot, en
proposant la définition suivante : « Le capital est dans l’ordre de la
création ce qui ne vient pas du Créateur mais de la créature. Propriété d’un
individu ou d’une communauté de savoir, il est constitué par l’ensemble des
valeurs antérieurement soustraites tant à la consommation improductive qu’à la
production stérile et que le passé a légué au présent. »
III - Poétique du capitalisme
La
dernière partie du livre, poétique du capitalisme, part de l’observation que le
grand paradoxe du capitalisme est
qu’il n’a pas été forgé par ceux qui plaident la cause du capital mais par ses
ennemis. J’entreprends alors, avec mes modestes lumières, de traquer le capitalisme dans le corpus des premiers
socialistes. Rarement employé par Fourier, Leroux et Proudhon, presque
introuvable chez Marx (on n’en relève qu’une seule occurrence dans le premier
livre de son Capital), le mot est
alors éclipsé par la figure centrale de l’imagerie antisémite, le capitaliste.
Ce n’est donc pas la statistique qui imposera le capitalisme comme objet scientifique dans l’imaginaire
universitaire de l’Université allemande, où domine le « socialisme de la
chaire » mais une poétique où il se manifeste sous l’aspect de trois
figures, l’hypotypose, l’hypallage et l’hyperbole. Tandis que l’hypotypose
permet de donner à voir de façon frappante ce qui n’existe pas, l’hypallage
inverse la réalité tout en la dilatant par l’hyperbole.
Vous
noterez que nous n’évoluons pas seulement ici dans le vaste domaine de
l’histoire des idées mais que nous sommes au cœur de l’actualité puisque ces
trois fleurs de rhétorique ont orné tous les discours prononcés lors de la
COP21, le réchauffisme étant, vous l’avez compris, le dernier avatar de la
fiction capitalisme.
En
mesurant la force de cette poétique qui domine encore aujourd’hui l’histoire
des idées, on comprend, en dernière analyse, que le capitalisme n’est pas un système économique mais un mythe qui a
pour fonction d’imputer au libéralisme les maux causés par le socialisme.
IV - Les trois autres volumes
Comment une telle mythologie
a-t-elle pu se constituer sans alarmer les intelligences ? C’est ce que nous
tenterons de comprendre avec le livre II du Capital,
intitulé Le Mythe du capitalisme, qui
paraîtra en 2016. Dans ce volume, je tenterai de retracer l’histoire du système
anticapitaliste, qui prend aujourd’hui trois formes principales : la
guerre proprement militaire, la guerre sociale et la guerre des monnaies, ce
trident étant alimenté par la monnaie-dette émise par les banques centrales.
Dans le troisième livre du
Capital, intitulé Théologie du capital,
prévu pour 2017, je développerai le concept de monothéisme méthodologique
esquissé dans le livre I pour examiner les sources religieuses de
l’anticapitalisme et tenter de penser théologiquement le capital afin de mieux
le défendre, car c’est bien lui et non pas « la planète », révérée par
les adeptes de la religion du citoyen, qui est en voie de disparition.
Enfin le quatrième livre, Être et capital, prévu pour 2018, doit
nous conduire à réfléchir à la constitution d’une philosophie de l’avoir qui
aurait dû être le fleuron de la pensée occidentale si cette dernière n’avait
pas été frappée d’immobilisme par l’ontologie, cette philosophie omniprésente
de l’être au nom de laquelle sont menées toutes les campagnes anticapitalistes
contre l’égoïsme libéral.
Michel Leter