samedi 31 mai 2014

L'Oracle Draghi ou quand dire c'est faire

Conférence de Mario Draghi du 8 mai 2014
Au commencement était le verbe qui par son seul pouvoir pouvait faire plonger l'euro de 250 pips 


    Quand dire c'est faire, tel était le titre de la traduction française de l'ouvrage fondamental du philosophe anglais John Langshaw Austin How to do Things with Words, publié en 1962. Austin y esquisse une théorie des actes de langage qui aurait toute sa place en économie si nos économistes avaient vocation de mettre en lumière les causes des crises financières au lieu de servir de caution à ceux qui les provoquent.
    La science économique, enlisée aujourd'hui dans une mathématisation pseudo-scientifique est parfaitement incapable de prendre la mesure des perturbations anticapitalistes suscitées par les discours des gouverneurs de banques centrales, préférant imputer au mythe du capitalisme les maux causés par le néo-socialisme, qui est la forme que prend le collectivisme quand il se donne pour capitaliste.
    La volatilité excessive de l'euro n'est pas due aux derniers soubresauts d'un capitalisme moribond mais aux oracles intempestifs des gouverneurs de banques centrales comme l'illustre la grand messe qui suit traditionnellement l'annonce du taux directeur de la BCE (la Banque Centrale Européenne) par son président Mario Draghi. La dernière en date a eu lieu le 8 mai dans un contexte de critique de "l'euro cher" émise à la fois par la France et par le FMI.
     Dans la mesure où Mario Draghi ne peut toucher aux principes de la BCE qui prohibent en théorie la monétisation de la dette et qu'il se trouve étroitement surveillé sur ce point par Jens Weidmann président de la toute puissante "Buba" (Bundesbank) et pape de "l'euro fort" (c'est-à-dire d'un euro moins faible que le dollar, qui ne vaut rien), l'exercice consistait donc à faire varier le cours de l'euro par la seul magie du verbe.
    

    Pour caractériser cette lutte de titans entre les bulls, "les taureaux", qui poussent à la hausse et les bears, "les ours", qui poussent à la baisse, la rhétorique anticapitaliste recourt à des métaphores militaires, qui furent condamnées par un Frédéric Bastiat au temps où les économistes lisaient et écrivaient. Dans la novlangue du FOREX, le marché des devises, on désigne un discours comme dovish, c'est-à-dire, littéralement comme un "discours de colombe", pacifiste, un discours accommodant, favorable à l'émission de fausse monnaie (désigné par l'euphémisme "d'assouplissement monétaire"). Le terme dovish s'oppose à hawkish, qui désigne un discours de "faucon". En vertu de la mauvaise métaphore de la guerre économique, on suppose donc que l'inaction monétaire est agressive et que le faux monnayage adoucit les moeurs.
    Le "marché" est donc volontiers perturbé par de fausses anticipations qui peuvent conduire à un malinvestissement. La journée du 8 mai en est la parfaite illustration. L'oligarchie financière corrompue par le néo-socialisme d'Etat, rêve de pouvoir utiliser la BCE comme la finance américaine utilise la FED en inondant le "marché" de liquidités sachant que cette fausse monnaie a l'avantage de ne pas aller à l'économie réelle mais aux rachats des produits les plus toxiques du néo-socialisme financier que sont les obligations "souveraines".  
    Le 8 mai, il suffisait donc à M. Draghi de formuler, au détour d'une phrase, la demi-promesse d'une "action" de la BCE au mois de juin pour que l'euro chute vertigineusement de 150 pips en une journée. Mario Draghi a simplement suggéré, comme dit la traduction littérale de l'AFP, que «Le conseil des gouverneurs de la BCE est confortable avec le fait d’agir en juin lors de la publication des nouvelles projections économiques » pour que l'euro se retourne brutalement à la baisse. La formule traduite ici littéralement est "is confortable with" même si elle est un barbarisme en français elle en dit assez pour laisser entendre qu'il ne s'agit pas d'une résolution mais d'une adhésion à l'idée d'un assouplissement. On est loin d'un is ready to act qui aurait donné un signal fort. Mais tout fait ventre pour la spéculation et il n'en fallut pas plus pour que l'euro chute comme une pierre.

     Comment, dans le ventre de la bête, le petit tradeur, qui perd plus qu'il ne gagne, a-t-il pu vivre ces péripéties ? 


> Ma position le 8 mai

    Le 7 mai, la veille de l'annonce du taux directeur, "les salles de marché" gageaient  que les cambistes allaient profiter du discours de Mario Draghi pour atteindre, voire casser, la résistance de 1.40 sur la paire eurodollars dans la mesure où il y avait consensus pour que la BCE ne s'engage pas sur un assouplissement monétaire ce mois. 
    Dans l'incertitude, la paire EURUSD naviguait entre 1.3910 et 1.3940. J'avais donc passé un ordre différé à 1.3950 pour qu'une position vendeuse se déclenche lorsque cette résistance serait cassée. Hésitant sur la force de la pression acheteuse, je n'avais pas programmé une prise de bénéfice sur la barre symbolique des 1.4000 mais sur 1.3990 compte tenu de la volatilité qui risquait d'accompagner le discours de l'oracle. En cas de retournement, j'avais prévu de couper mes pertes en fixant mon "stop loss" à 1.3790.
     La position fut ouverte à 11h40 soit un peu trop tôt à mon goût car la décision sur les taux d'intérêt ne devait pas être rendue publique avant 13h30 et la conférence de M. Draghi n'était pas prévue avant 14h30. 
      Il ne fallut pas attendre plus de 9 minutes après la prise de parole de Mario Draghi pour que ma position se ferme à 1.3990 pour un profit de 40 pips. J'avais été bien inspiré de ne pas viser les 1.4000 et de prendre mes bénéfices 10 pips plus bas car non seulement la hausse en flèche de la paire n'atteignit pas le plafond des 1.4000, touchant juste les 1.3995, son niveau le plus élevé depuis octobre 2011, conséquence de la décision de la BCE de laisser son principal taux directeur inchangé à 0,25%, niveau historiquement bas.  Mais  l'annonce par M. Draghi d'un possible "assouplissement quantitatif" au mois de juin allait provoquer un retournement plus vertigineux encore puisque le vendredi soir la paire après avoir atteint un sommet connaissait un creux hebdomadaire de 1.3745, soit une chute de 250 pips en deux jours ! 

Graphique horaire EURUSD à la clôture vendredi 9 mai : on distingue le sommet à 1.3995 au début du discours de M. Draghi et la chute qui suit l'évocation d'un possible assouplissement monétaire en Juin


   A quoi faut-il s'attendre jeudi prochain 5 juin lors de la prochaine annonce du taux d'intérêt directeur de la BCE, qui sera suivie d'un nouvel exercice de haute voltige de M. Draghi ? Les zombies du "marchés" anticipent déjà une baisse du taux directeur de la BCE de 0,25% à 0,10%. On voit bien que comme ce taux est déjà à 0+, son passage à 0- est purement symbolique mais il n'en faudrait sans doute pas plus pour que l'alchimie du verbe anticapitaliste de la banque centrale ignore encore l'économie réelle pour mieux servir les oligarchies spéculatrices en échange de la poursuite du financement des politiques dites "sociales" par la dette.

   Quoi qu'il advienne, le petit tradeur amateur couvrira l'événement, accroché au fuselage de la bête pendant le looping, et ne manquera pas d'ouvrir une position pour mieux vous conter cette journée. 

                                                                                                                                          Michel LETER